mercredi 24 mars 2010

Monteur et concierge-web

Le site web sur lequel je travaillais depuis quelques mois arrive à terme. J'ai choisi de laisser ici quelques conclusions qui me viennent avec la fin de ce projet. Comme tout ça est un peu trop personnel j'ai décidé de les afficher ici, dans mon espace web, plutôt que sur le site en question.

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Maintenant que nous arrivons à la fin de la vie active de notre site web, Ouestquonparlefrancais.ca, vous me permettrez de prendre le crachoir comme on dit au Québec.

Je voulais simplement en terminant prendre, l’espace de quelques lignes, le temps de dire merci et le temps de justifier certains choix.

Dire merci d’abord à Anne Worrall et Robert Zajtmann pour leur merveilleux doc, Ouest qu’on parle français ? dont je suis très fier de signer le montage (d’où le titre de ce blog).

On ne mentionne pas souvent dans les salons de la francophonie hors-Québec que pour produire ces objets culturels que sont les documentaires, loin du centre névralgique francophone de l’Amérique, leurs concepteurs doivent surmonter bien des obstacles propres à la vie culturelle en milieu minoritaire. Je sais que sur “Ouest qu’on parle français ?” Anne et Robert ont dû bosser très dur, très fort, pour trop peu comme toujours dans ce métier mais avec le résultat remarquable que vous avez peut-être eu le plaisir de voir. On insiste d’ailleurs pas d’avantage sur la collusion spécifique de détermination, de vision, de rigueur et de talent qu’une telle entreprise exige. On ne reconnait pas assez souvent la convergence de ces capacités chez une même personne. Il est évident pour moi qu’Anne Worrall réunit ces qualités de manière remarquable. Puisque tous reconnaissent à raison qu’elle a été l’âme de ce projet documentaire avec le support indéfectible et la généreuse vision humoriste de Robert.

Si Radio-Canada a jugé pertinent de prolonger l’expérience de ce documentaire sur le web c’est bien parce qu’Anne et Robert ont au reste livré un document unique, hors pair, qui auprès de cette institution et de la mouvance documentaire francophone canadienne va faire école je n’en doute pas. Il faut aussi reconnaître la part de la maison de production derrière le doc et le site et sa productrice, Sylvie Peltier. Les institutions comme Radio-Canada ne s’associe que rarement à des individus pour mener à bien de tels projets. Ils cherchent toujours le partenaire du secteur privé qui ouvrira les vannes de Téléfilm et garantira un financement adéquat, une impossibilité pour la société d’état seule. Ces contingences institutionnelles les amèneront toujours à chercher le partenaire privilégié qui sera à même de garantir le succès d’un doc ou d’un site web. Avec Red Letter Films, sur le doc comme sur ce site, Radio-Canada a été superbement desservi. Hors Québec les maisons de productions francophones de qualité sont fort peu nombreuses, heureusement ici à Vancouver nous avons Red Letter.

Ma petite expérience personnelle sur ce site m’amène enfin à justifier certains choix de contenus qui ont été les miens. De monteur que j’étais, au service d’une vision partagée par Robert et Anne sur leur doc, je me suis retrouvé dans le rôle de “producteur web”, après qu’on m’ait permis de rédiger une proposition de site web qui fut finalement accepté par Radio-Canada. J’ai été promu en somme.

Les modes de production du web et du documentaire diffèrent en ceci que la multiplicité des tâches est concentrée sur beaucoup moins de personnel dans le monde du web. Donc je me suis retrouvé à cumuler les tâches de monteur, producteur, web designer par moment, modérateur (c’est dans ma boîte de courriels qu’aboutissaient d’abord vos commentaires) et enfin “concierge”. Toujours un peu à faire le ménage au sens commun de terme mais aussi au sens plus classe ayant à moduler le “rythme du service à la clientèle” de ce site de temps à autre.

Si vous avez suivi nos webmathons ou si encore vous avez fait partie des heureux qui se sont retrouvés devant la caméra, vous aurez réalisé que je n’ai pas retenu l’ensemble de vos réponses dans les extraits qui sont venus donner vie à notre site, si tant est que je les ai même retenues. À plusieurs d’entre vous, nous avons fait subir quelques supplices. Parmi ceux-ci, les virelangues qui ont donné lieu à de beaux moments de voltige langagière et enfin à vos interprétations bien senties et quelques fois hésitantes de notre hymne national.

Nous avions projeté de faire un collage de toutes ces interprétations du O Canada. Mais entretemps, les Jeux de Vancouver sont survenus avec l’éclatement sur la place publique vancouveroise de cette ferveur nationale que la réserve notoire des canadiens avait visiblement gardée en réserve pendant trop longtemps. A la lumière de cet embrasement patriotique, j’ai tout de suite ressenti une gêne à créer ce collage rigolo que nous voulions pour vos interprétations. Il m’a semblé que peu importe comment je monterais ces éléments ensemble, j’irais à contresens de ce qui m’a semblé être le fait central de ce débordement: sa spontanéité, son absence de préméditation.

À quatre reprises entre le 13 Janvier et le 5 mars, Robert et Anne sont allés à la rencontre des francophones et des francophiles de Vancouver. La récolte de ces courtes entrevues (entre 5 et 8 minutes chacune) nous a tous surpris. Comme monteur, je vis cette réalité depuis des années. À la fin d’un projet il va toujours me rester entre les mains des moments uniques que j’aurais aimé façonnés dans une courte séquence parce que j’y lit ou j’y projette (c’est la même chose de mon point de vue) une émotion, un aspect de récit qui me semble spécial, capital.

La plupart du temps mon enthousiasme ou ma déficience d’attention chronique est régulée par la vision “sereine et rigoureuse” du réalisateur. “On se calme… laisse tomber ceci… gardes cela… resserres-moi tout ça. Changes de musique etc.… et ça sera parfait”. “Sauf que…” comme le dit M Lemoyne à la fin de notre doc, sauf que voilà cette fois-ci, pour la première fois depuis longtemps je fais ce choix sans l’assentiment de la réalisatrice, de la productrice. Pourquoi ? Parce que je suis plus que le monteur sur ce projet, j’en suis le concierge-web. Et hop dernier coup de balai avant d’éteindre…

La différence entre ceux qui tournent des trucs et ceux qui montent des trucs au cinéma, c’est que ceux qui montent finissent indéfectiblement par passer beaucoup plus de temps avec le matériel que ceux qui tournent. Je fais la moyenne mais la balance est de mon côté et je le sais… Ce qui m’amène à croire que ma lecture de ces extraits est riche d’un effet de sédimentation. Ces projets documentaires se font toujours trop vite lorsqu’on arrive au montage. Les budgets ont diminué ces dernières années et un des impacts de cette attrition s’est fait sentir sur la durée moyenne du temps alloué au montage. Avec moins de temps à notre disposition pour investir le matériel et vraiment se l’approprier le monteur est laissé sur sa faim en somme. Mais dans ce cas la poursuite de notre doc sur la plate-forme web m’a permis de rester en contact avec le matériel tourné et de laisser la poussière retomber.

Au fil des semaines précédentes, à chaque fois, au cours d’une entrevue réalisée sur notre webmathon, que Robert et Anne amenait l’intervenant à livrer une lecture trop circonstanciée de la francophonie, je me retrouvais toujours avec l’obligation d’éliminer la réponse parce qu’elle ne cadrait pas, à mon avis, à ce moment, avec la trame qui était la nôtre sur ces webmathons: la célébration pure et simple du fait français. Mais dès les premières écoutes d’entrevues, j’ai commencé à mettre de côté ces éléments incongrus dans une séquence titrée “Considérations”. À la fin de nos 4 journées de tournages et de quelques dizaines d’entrevues, cette séquence “automatiste” faisait près de 15 minutes. Dès la première écoute de cette assemblage mécanique, j’ai compris que j’avais, par accident, fabriqué un concentré de réflexions sur la francophonie qui, pour aller du coq à l’âne, n’en touchait pas moins le cœur.

La grande leçon de cette expérience web pour moi: on passe des années à apprendre à tisser images et sons ensemble pour réaliser que ce sont les mises en contiguïté les plus arbitraires qui sont parfois les plus porteuses de sens. Bonsoir l'égo du monteur !!

C’est pourquoi en bout de compte j’ai investi mon temps à polir ce dernier élément de réflexion sur notre francophonie hors Québec plutôt que d’essayer de reproduire, en moins bien, un effet de foule célébrant notre triomphe olympique. J’espère que ce faisant je n’aurai blessé personne qui aurait absolument souhaité se retrouver sur le web chantant l’O Canada. La décision est entièrement la mienne et Anne et Robert ne devrait souffrir aucun reproche de la part de ceux et celles que ma décision brimerait.

Mais tout de même... tout le monde en coeur: "OOOOOOOO Caaaaaaaanaaaadaaaaa....."

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