mercredi 29 juin 2011

Pas rapport

Je prépare mon rapport de recherche final sur ma sortie au Yukon. En essayant de tirer au clair les impressions des derniers jours, j'ai mis quelques mots sur ma rencontre avec une personne hors du commun, une autre, me direz-vous... Non, non... pour vrai ce coup-ci. Voici un extrait de mon premier jet.

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Claude Gosselin : On m’avait mentionné Claude à plusieurs reprises à chacun de mes voyages. Cette fois-ci j’ai eu l’occasion de le rencontrer lors de la fête de la St-Jean à Whitehorse.

Claude est arrivé ici en 2000 après avoir passé 12 ans comme travailleur de rue à Charlesbourg en banlieue de Québec. Claude est prêtre. Il pratiquait au Québec une pastorale de rue, inspirée des écrits de Dom Elder Camara[1] et du mouvement des prêtres ouvriers[2].

Après 12 années dans la rue, là où les plus endurcis des travailleurs de rue durent 5 ans en moyenne, Claude a reçu une invitation d’une connaissance à venir à Whitehorse à la demande de quelques familles catholiques qui étaient sans pasteur. Il accepte et tombe rapidement en amour avec les gens et le Yukon. Jusque-là pas trop de surprise.

Depuis, les interventions de Claude sont nombreuses et de toutes envergures. De l’animation de la banque alimentaire à l’accompagnement de personnes âgées ou malades au seuil de la mort. « trouver le divin dans l’autre » est le mantra qui guide ses pas.

Le jour de la St-Jean, il revenait de Carcross une toute petite communauté où une petite église catholique, dédiée à St-Jean-Baptiste a été érigée il y a longtemps. À la demande de quelques familles du coin, il y avait célébré le matin même une messe de la St-Jean. On imagine le saut en arrière culturel que cela suppose pour nous les héritiers de la Révolution Tranquille de se repenser dans cette page d’histoire d’un Québec révolu.

Claude Gosselin
Difficile de ne pas être impressionné par cet homme dans la jeune cinquantaine, chez qui tout de suite apparaissent une profonde écoute et une grande compassion. Un vrai prêtre.

Claude me racontait entre autres que souvent lorsqu’on lui demande d’accompagner un mourant francophone qui vit depuis longtemps ici au Yukon des choses étonnantes surviennent. Souvent ces personnes bien que francophones, n’ont pas eu à vivre en français depuis des lustres. La vie est ainsi faite en situation minoritaire que pour une génération plus âgée cela voulait dire d’oublier son français et de plonger dans la communauté anglophone où l’on avait choisi de faire sa vie.

Mais au seuil de la mort, dans la demi-clarté qui habille nos dernières heures, la demi-conscience qui rythme ces moments, la langue maternelle refait surface. Claude me racontait avoir souvent été appelé par des infirmières ou médecins parce que soudainement un patient en phase terminale ne s’exprimait plus qu’en français après une vie vécue en anglais. Claude arrivait donc comme interprète et, en corollaire comme pasteur pour accompagner ces derniers moments. Donner les sacrements. Absoudre et laisser entrer la paix.

Je traine en francophonie hors Québec depuis 15 ans et je n’avais jamais entendu une histoire aussi émouvante et surprenante que celle-ci.

Cette rencontre avec Claude était tout à fait fortuite parce qu’il ne faisait pas partie de mon plan de travail. Le soir où je l’ai rencontré je discutais avec un des responsables de l’AFY, Roch Nadon, qui m’a beaucoup aidé pendant mes séjours, et je lui demandais s’il pourrait me mettre en rapport avec Claude. Je le lui demandais parce que j'avais épuisé la liste de ceux et celles que je voulais rencontrer. J’allais à la pêche en somme. Roch a tourné la tête en désignant un point derrière moi… : « le v’là justement ». Claude arrivait à l’instant, marchant dans le sentier qui menait à la petite place aménagée pour le feu de la St-Jean où nous étions assis.

En recherche, comme en tournage, y’a des coïncidences qu’un cinéaste doit savoir saisir. Après ma rencontre avec Claude, sans prétention, j’ai compris que mon film me parlait à ce moment.

Une de mes découvertes de cette recherche sur la francophonie au Yukon tient dans le non-dit d’une quête spirituelle chez la plupart de ceux et celles avec qui j’ai parlé. Certainement chez Florian Boulais, chez Julie Carpentier, un peu chez Robert Daffe, d’une manière célébrante avec Pascal et Soir de Semaine, toutes ces personnes ont en commun une quête de bonheur, de soi, qui est fondamentalement spirituelle. Claude Gosselin avec son témoignage « pastoral » est venu faire un lien sur le fait français que j’avais de la difficulté à dégager du propos « quête de soi – équilibre de vie – appel de la nature » qui semble vouloir émerger de mes rencontres. Merci Claude.


[1] Evèque sud-américain, penseur derrière le mouvement « théologie de la libération » qui était très populaire en Amérique latine pendant les années noires des dictatures chiliennes, argentines et autres. Ce mouvement intime au pasteur de se tenir avec le peuple, avec les pauvres contre l’oppression des oligarchies et du capital. Il s’agit d’un catholicisme aux teintes marxistes. Jésus rencontre Lénine.
[2] Particulièrement auprès du mouvement québécois JOC (jeunesse ouvrière chrétienne)

2 commentaires:

Anonyme a dit...

Bravo Jean! Je commence à croire que le spiritualisme va nous guider dans nos démarches écolos... dernière grande révélation pour moi, alors ton blogue arrive à point. À bientôt! linda

enzojeanb a dit...

oui je commence aussi à penser qu'une des solutions durables à la crise climatique qui nous attends au détour s'appuie sur une quête morale, une quête de sens... de là à la spiritualité... y'a qu'un pas.